Parler à un ado…? Vraiment…?!
“Je m’en fous”, “Je sais pas”, “C’est ma vie, je fais ce que je veux”… Qu’est ce qu’on peut les aimer nos ados ! Tant d’ouverture d’esprit, de démarches intellectuelles poussées et de mises à distance des émotions dans un même être… Nos adolescents sont et resteront les meilleurs interlocuteurs possibles dans la résolution des conflits avec l’adulte…
Que se passe t’il ? Je vous vois rire ? Certains froncent les sourcils ? Bon, ok, vous avez raison. Il est très très difficile de parler avec un adolescent lors d’un conflit ou d’une mésentente. Les regards se ferment, les cerveaux s’éteignent et la colère, parfois même la violence, prend le pas sur la réflexion et l’échange.
Alors que faire et comment ?
A l’instar du Terrible Two l’adolescence est une période d’opposition et de prise d’indépendance nécessaire au bon développement de l’enfant.
Néanmoins, bien que cette phase soit importante, elle reste très complexe à vivre pour les familles car remet en cause les systèmes de communication mis en place ainsi que les rôles et fonctions de chacun.
Mais, tout d’abord, qu’est ce qu’un ado ?
Grandissant trop vite pour se tenir droit avec une grande capacité à provoquer, une voix qui déraille, des certitudes souvent absurdes ou incomplètes, des copains infréquentables, des poils qui poussent, des hormones qui envahissent, des poitrines qui enflent, des portes qui claquent et des bêtises qui s’enchaînent… Mais pas uniquement…
Les adolescents vivent un remaniement très important de leur cerveau, de leur corps et des relations sociales. Ils sont à un âge où, malgré ce qu’ils nous montrent, leur cerveau est en ébullition quant à des questions qu’ils ne se posaient pas plus jeunes. Ces questionnements concernent généralement des conflits psychiques internes opposant la famille aux amis, les valeurs familiales à d’autres valeurs venant de l’extérieur, un développement identitaire balbutiant opposant l’enfant au futur adulte ou encore des besoins physiologiques et psychiques qui évoluent. L’adolescent devient alors un individu propre qui n’est plus totalement rattaché à ses parents.
A mon sens il est primordial de comprendre que ces réajustements psychiques, biologiques et sociaux sont comme déménager dans un nouveau pays dans lequel la langue, la culture et la géographie nous seraient inconnues… quelle angoisse !
Nos ados sont face à une quantité impressionnante d’informations à assimiler et à remanier… quel travail…!
Du côté des parents.
Bien, rien de bien nouveau dans tout ça me direz-vous.
Ce qui nous intéresse maintenant est la conduite à essayer de tenir face à ces changements. Il est ainsi très fréquent que cette évolution que rencontrent nos enfants s’accompagne d’oppositions, de disputes et de mises en danger face auxquelles nous nous sentons désarmés et incompétents. Peut-être est-ce là un premier point à aborder. Nos incompétences parentales, nos défauts… notre humanité.
“Je suis un mauvais parent. J’ai échoué”
Dans le “Manuel de survie pour parents d’ados qui pètent les plombs”, les auteurs expliquent que “Les parents parfaits, ça n’existe pas. Être mère et père, c’est même être faillible, capable de se tromper.” Winnicott développe également le concept de “mère suffisamment bonne” (cela fonctionne aussi avec les pères.) qui, par ses manques et ses failles, permet à son enfant d’éprouver ses désirs et d’élaborer en vue de les satisfaire. Cette mère reste néanmoins suffisamment compétente pour satisfaire aux besoins fondamentaux de son enfant et lui permettre de survivre jusqu’à ce qu’il soit autonome.
J’ai coutume de dire aux parents que j’accompagne que leurs propres défauts (si ils ne sont pas symptomatiques de fonctionnements toxiques, névrotiques ou psycho-pathologiques) feront peut-être les atouts et qualités de demain de leur enfant. Papa est un peu radin ? Son enfant sera alors peut-être économe à son tour ou, à l’inverse, très généreux.
Enfin, le fait qu’il soit parfois très complexe de vivre et de comprendre nos adolescents laisse à ces derniers une place dans leur évolution. Si nous étions en capacité de tout gérer, comment, dés lors, serait il possible pour nos jeunes de se rendre autonomes ? Ils resteraient totalement dépendants de nous.
Chers parents, n’espérez pas être parfaits car personne ne l’est, et c’est ce qui permet aux générations suivantes de faire mieux que nous !
« Oui mais il n’entend rien. »
Lors des confrontations avec nos adolescents, ces derniers ont une capacité certaine à dénigrer et mépriser ce que nous sommes, ce que nous faisons et ce que nous pouvons dire. Ils pointent nos incohérences, nos défauts et en font des armes de jet qu’ils nous lancent au visage. Pourtant “On lui a tout donné…”.
Cela est fatiguant, souvent même très déprimant.
Si les adolescents sont si virulents envers leurs parents, ce n’est pas par sadisme ou par haine de leurs géniteurs. Nos jeunes ont besoin de tester leurs propres postures en la confrontant à la solidité des adultes. Au quotidien cela s’illustre par des disputes parfois absurdes pendant lesquelles nos petites pousses vont utiliser toutes les failles qu’ils pensent identifier et dans lesquelles ils s’engouffrent. La différence étant qu’un ado ne reconnaîtra jamais, lors des temps de crise, ses erreurs ou ne laissera évoluer ses propres opinions. Il restera braqué sur son idée et ne pourra en sortir immédiatement. Il lui faudra du temps, et surtout du calme, pour poser les choses et élaborer de nouveaux schémas.
“– Si je retrouve des cigarettes dans ton sac, tu seras privé de sortie et d’argent de poche
– T’as rien à me dire tu fumes aussi.
– Oui mais moi je suis adulte.
– Ça va je suis plus un gamin je fais ce que je veux !”
N’attendez pas de vos adolescents qu’ils acceptent votre vision du monde et de son fonctionnement quand eux-mêmes cherchent où ils en sont. Un des objectifs de cette période de développement est justement de se rendre autonome. Pourquoi alors rester sur la carte du monde des parents quand je cherche mon propre chemin ?
N’oublions pas dans cette histoire qui sont les adultes et pourquoi sont-ils encore des enfants. En tant qu’adultes et parents il est très important d’accepter la contradiction et de savoir reconnaître les arguments de l’autre. La mauvaise foi est une chose insupportable pour les jeunes et si ils vous sentent peu à l’aise ou peu convaincus, vous serez dans l’impossibilité de faire passer votre message.
Ok mais je fais quoi moi ?
Lors des oppositions et crises avec vos adolescents il y a plusieurs règles à respecter :
– Ne pas projeter nos propres angoisses.
Le chômage, la santé, la justice, le sexe, la Mort ou encore l’argent sont des éléments très importants dans nos sociétés et dans nos vies occidentales. Nous, adultes, savons qu’ils peuvent aider au bonheur mais également apporter de grandes difficultés et souffrances. Dès lors nous essayons de protéger nos enfants de la même manière que quand, plus jeunes, ils commençaient à marcher et risquaient de se blesser. Mais ces craintes sont des craintes d’adultes, pas celles d’un ado. Pourquoi alors devrait-il y accorder de l’importance ? Pourquoi devraient-ils s’inquiéter de quelque chose qu’ils ne comprennent pas et qui ne leur arrivera peut-être jamais ?
Ne confondons pas “préparer nos jeunes à la vie adulte” et “projeter sur eux nos propres angoisses d’adultes”. La différence réside dans le fait qu’il vous faut planter des graines qui germeront (ou non) quand cela sera utile. Une plante ne grandira pas plus vite si vous tirez sur la tige, elle grandira pour chercher le soleil, pour faire éclore ses fleurs ou obtenir de quoi se nourrir. Elle ne grandira pas plus vite si vous lui répétez tout le temps que, un jour peut-être, elle aura peut-être besoin de pousser. Ainsi en va t’il avec les adolescents. Ils grandissent, mais à leur rythme.
– Semez ! Semez ! Mais vous ne récolterez rien !
Comme je l’évoquais précédemment, il serait souvent illusoire de penser qu’un adolescent reconnaisse ses erreurs ou ses incompétences face à ses parents et à l’adulte en général. Alors pourquoi continuons-nous à essayer de les convaincre ?
Je pense qu’il est important de donner conseils à nos jeunes, vital même de leur permettre de s’appuyer sur nos expériences. Mais un conseil n’est pas un ordre ou une injonction. Un conseil est suivi si il fait sens dans mon esprit ou dans une situation que je rencontre, pas uniquement parce que mon père ou ma mère me l’a donné…
Souvenez vous chers parents : “Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait”. Inculquez leur ce qui vous semble important et faites leurs suffisamment confiance pour qu’ils en fassent ce qu’ils veulent, un jour peut-être. Nous ne sommes pas nos enfants. Leur vie sera différente de la nôtre, en bien comme en mal, alors pourquoi exiger d’eux qu’ils s’adaptent à notre propre passé et à nos propres expériences sans leur laisser la possibilité de vivre les leurs ? D’ailleurs qu’est ce qui nous dit qu’ils ne feront pas différemment et mieux que nous face aux même situations…?
Donnez conseils.
Donnez sens aux conseils.
Laissez faire.
J’aime bien donner l’image aux parents que j’accompagne de l’escalade.
Je vois l’adolescent comme un alpiniste qui grimpe vers l’âge adulte qu’il trouvera au sommet de la montagne. Mais escalader une montagne est dangereux. On peut glisser, tomber et mourir.
Deux choix s’imposent : Ne pas grimper. Ou escalader en s’assurant un maximum de sécurité.
Et c’est là votre rôle parental. Vous êtes la corde de sécurité de votre enfant. Vous ne l’empêcherez pas de monter sur cette montagne mais vous lui permettrez de survivre si il chute. Il se fera certes un peu mal mais il survivra et pourra continuer son ascension en vous sachant derrière lui pour le guider et le soutenir.
– Restons cohérents.
Élever un enfant est un travail à temps plein, sans formation ni réel espoir de retraite et avec des conditions de travail parfois discutables. Comme dans de nombreux métiers, le travail d’équipe est primordial. Il faut savoir déléguer et s’appuyer sur les autres membres de l’équipe et que tout le monde aille dans le même sens. Le vainqueur n’étant pas celui qui marque le point, mais toute l’équipe qui l’a soutenu.
Il n’est pas toujours simple de discuter ensemble de l’éducation de nos enfants surtout en cas de désaccord. Nous n’avons pas la même vision des choses et nos histoires personnelles amènent nécessairement des valeurs et des méthodes éducatives différentes. Restez cohérents et surtout, travaillez en équipe. Il vous faudra parfois accepter de perdre afin que votre équipe parentale puisse remporter le match.
Les incohérences parentales (seul ou dans un couple) sont très insécurisantes pour les ados qui les décèlent très facilement. Si je dis oui aujourd’hui et non demain, quelle cohérence ? Quel sens ? Si Papa accepte mais que Maman refuse… qui a raison ? A qui puis-je me fier ?
Si malgré tout certains paradoxes sont relevés par vos têtes blondes, expliquez leur les tenants et les aboutissants. Mieux ! Associez les aux décisions quand vous ne parvenez pas à trancher. Vous reconnaîtrez alors que leur avis a de la valeur pour vous.
– Fuir les escalades symétriques.
“- J’ai raison, tu as tort.
– Non c’est toi !
– Non c’est toi qui as tort !”
Ces 3 lignes résument la majorité des “discussions” que je peux observer lors d’entretiens familiaux qui se terminent généralement par des cris et des portes qui claquent.
Lors d’un conflit nous attendons de l’autre qu’il accepte la défaite et se rallie à notre pensée et à notre opinion. Je trouve déjà cela très compliqué en tant qu’adulte alors, face à un adolescent qui a nettement moins de limite que moi, c’est encore plus difficile.
Une escalade symétrique et une montée en puissance d’une dispute où chacun alimente l’autre par une impossibilité d’enrayer le conflit. Généralement ce sont des monologues pendant lesquels nous récitons notre argumentaire que l’autre n’entend pas puis, à son tour, ce dernier récite son laïus. Cela entraîne un sentiment d’incompréhension et de manque de considération de la parole de chacun qui limite mécaniquement les possibilités pour communiquer sereinement.
Ne crions pas, écoutons-nous et, même si cela ne réglera pas le conflit, cela évitera qu’il prenne des proportions contre productives. Par la suite, sur des temps plus calmes, ré évoquez et ré expliquez ce qui vous a dérangé.
– Injustices, jugements de valeur et incompréhensions.
Rien de mieux que l’injustice pour scandaliser et énerver nos jeunes ! D’un naturel très Manichéens (qui voit tout blanc ou tout noir, en Bien ou en Mal, de manière très simplifiée et sans nuance) nos ados ne sont pas toujours en capacité de prendre de la distance avec certaines idées “Vous comprenez rien de toute façon”. Restez vigilants à toujours expliquer et nuancer vos points de vue. Vous avez tranché sur une idée mais cela est issu d’une réflexion dans laquelle vous avez pesé le pour et le contre. Expliquez le à vos enfants. Développez votre idée afin qu’ils puissent se l’approprier :
“– Je ne dis pas que tous les gens qui fument des joints sont des drogués mais je pense que ce n’est pas se faciliter la vie que d’entamer l’âge adulte avec une dépendance ou des problèmes de mémoire et toi et moi nous devons rester attentifs à cela.”
Cette phrase passera nettement mieux que :
“- Si tu fumes des joints je t’envoie en internat !!” (sachant qu’il est fort probable qu’il/elle en consommera également dans l’internat…).
Enfin l’humour doit être une arme à utiliser sans trop de limite. Cela amène une certaine collusion et complicité avec votre enfant qui se sentira en alliance avec vous, plutôt que jugé négativement dans ce qu’il est et ce qu’il pense.
Pour conclure, et comme pour mon article sur le Terrible Two, les idées et conseils proposés ici ne sauraient être l’alpha et l’oméga de l’éducation des adolescents. Je souhaite juste donner quelques pistes qui permettront de faciliter la communication pour accompagner vos enfants dans cette période de la vie compliquée pour tous. De nouveau, les recettes magiques ne fonctionnent pas et il faut du temps (surtout à 15ans) pour que les choses cheminent et prennent du sens.
Courage ! Restez patients et vigilants, ça devrait aller.
Sources et articles intéressants :
Danie Beaulieu : 9 astuces pour mieux s’entendre avec les ados
Emmanuel Boudier : La crise d’adolescence vue par les neurosciences.
Christine Cannard : Les comportements des élèves adolescents : du «normal» au « pathologique».
Manuel de survie pour les parents d’ados qui pètent les plombs sur Yapaka.be
Winnicott et la mère suffisamment bonne.
Notre carte du monde ou notre représentation de la réalité.
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