Deux ans et déjà ma terreur.

Il ne m’écoute pas”, “Il fait des crises”, “Il me cherche”, “Il n’obéit pas”, “Je n’en peux plus”… Voici ce que j’entends fréquemment en entretiens familiaux à domicile. Le refus de l’autorité est en général perçu par les parents comme un rejet et une remise en question de leur identité parentale, un échec. Un enfant qui n’obéit pas, qui fait des bêtises ou qui, simplement, ne “rentre pas dans le moule” renvoie les adultes à un échec dans l’éducation de leur enfant alors qu’il n’en est généralement rien.


Tout d’abord il me semble primordial de préciser que les “recettes magiques” n’existent pas. Les conseils prodigués ne sont pas rigides et se doivent d’être adaptés à la personnalité de chacun, parents comme enfants, et selon le contexte familial. Il est ainsi autrement plus important de comprendre le sens donné à une préconisation que de la mettre en place sans en avoir assimilé l’idée de base, le fonctionnement sous-jacent, et se l’être appropriée. Je ne développerai donc pas dans cet article de techniques éducatives ou d’outils mais j’essaierai d’expliquer le sens à donner aux oppositions avec quelques exemples et orienterai vers des postures plus que vers des trucs ou astuces qui ne sauraient être généralisés.

A travers plusieurs articles j’aborderai les différents âges et ce que cela implique dans l’éducation des enfants.



Commençons par les petits :

Le « Terrible-two »


La première phase d’opposition rencontrée par les parents est généralement assez violente car non-attendue par ces derniers. Comment ce petit être d’à peine deux ans, trop mignon avec sa marche approximative et ses premiers mots se rapprochant plus d’une langue morte pourrait-il provoquer tant de désespoir et de colère en moi ?

Aux alentours de 2 ans (ou 1 an 1/2 ou 3 ans…) les enfants sortent de la phase bébé totalement dépendant pour acquérir progressivement deux habiletés primaires : la parole et la marche. La découverte de ces nouvelles libertés leur procure un sentiment de satisfaction et de fierté immense. Sentiments que nous alimentons par nos sourires admiratifs et nos encouragements constants.

Cette étape s’accompagne généralement d’une période d’opposition pouvant s’avérer critique dans leur développement et dans la relation parent-enfant. Pour comprendre ce changement il est important de se projeter dans les chaussures de nos jeunes pousses. A l’inverse de nombreux animaux, l’être humain n’est pas autonome à la naissance. Il est totalement dépendant des adultes pour à peu près tout ce qui concerne sa survie hormis quelques réflexes primaires (respirations, déglutition…). En grandissant il va développer sa psycho-motricité (pouvoir se gratter le nez sans se mettre le doigt dans l’œil), la communication avec l’autre (pleurer différemment quand il a faim ou est fatigué) et les interactions sociales (suit des yeux la personne qui lui parle). Cette phase illustre la prise de fonction du lobe frontal du cerveau qui intervient principalement dans le langage, le mouvement et la projection dans le temps. La marche et l’acquisition du langage vont amener une toute nouvelle indépendance qui permettra aux enfants de découvrir leur monde et les humains qui l’entourent. Cette compétence s’accompagne d’un nouveau super pouvoir, le pouvoir du “Non”. Dire non c’est être autonome, indépendant, c’est pouvoir décider sans être obligé… mais c’est aussi pouvoir dire Oui.

Moi, enfant, qui toute ma vie ai du attendre que les adultes me comprennent et satisfassent mes besoins primaires, je suis aujourd’hui en capacité de me faire comprendre et de me déplacer. Je peux décider de prendre quelque chose, de le mettre dans ma bouche, de monter sur le canapé, de descendre les escaliers ou encore de réclamer un jouet dans le magasin. Je suis enfin libre ! Quoi ? Je ne peux pas ? Je ne dois pas ? Je n’ai pas le droit ? C’est injuste !

« Non ! »



Avec ces nouvelles capacités arrivent de nouvelles mises en danger. Marcher c’est tomber. Toucher c’est se brûler. Goûter c’est s’empoisonner. Les adultes savent tout ça et souhaitent (avec justesse) en protéger les enfants. Mais ces derniers n’ont pas encore connaissance de ces risques et ne perçoivent les interdits que comme des frustrations et des limitations de leur toute nouvelle autonomie. Quelle oppression ! Quelle injustice !

Nous avons appris, en vieillissant, en nous “normalisant”, que nous ne pouvions pas obtenir tout ce que nous désirions, quand nous le désirons. Nous savons plus ou moins bien gérer nos pulsions. Un enfant en bas-âge n’a pas encore cette possibilité et ne peut encore identifier ses ressentis en les contextualisant. De quoi ai-je envie ? De quoi ai-je besoin ?

La perception du temps ou de la négation n’est pas encore acquise et un “non, pas maintenant” devient alors un “non pour toujours”. “Arrête de pleurer” devient “ton avis n’a que peu d’intérêt pour moi” ce qui provoque colère et tristesse chez l’enfant. Ces sentiments perçus comme négatifs (ils n’en sont rien) s’incarnent alors dans des cris, des pleurs, des morsures ou tout autre gestes défensifs face à cette agression. Le grand classique restant la crise à la caisse du supermarché (je tiens d’ailleurs à remercier les gérants de grande-surface pour tous les jouets et bonbons vendus en caisse qui facilitent la vie des familles).

Cette période d’opposition est normale et importante pour le bon développement de l’enfant. Il est primordial qu’il puisse tester les limites et ses limites dans le cadre sécurisé de la famille sous le regard bienveillant des adultes qui l’entourent. Je suis généralement plus inquiet quand je travaille avec un enfant de 2 ans obéissant et sage plutôt que avec un petit monstre qui en fait voir de toutes les couleurs à ses parents. Pas d’inquiétude, ça devrait passer. Toutefois ce n’est pas parce que cela est sain qu’il ne faut pas intervenir, bien au contraire. Il faut alors savoir qu’agir avec un enfant de 2 ans n’est pas la même chose qu’avec un adolescent de 13 ans.

Comment faire ?

Oui je sais… j’ai commencé cet article en précisant que je ne donnerais pas de conseil ou de technique… Je vais malgré tout essayer de développer sommairement et de manière non exhaustive quelques orientations possibles.

=> Tout d’abord, avant 3 ans, la négation n’est pas acquise. La construction cognitive permettant le langage est balbutiante et l’enfant comprend principalement par mots clés. Sur ce thème je ne saurais trop conseiller la conférence d’Isabelle FILLIOZAT “Au Coeur des Émotions de l’Enfant”, (visible sur cette page) et sur Youtube, où elle illustre cela par un exercice très simple.


Lisez attentivement cette demande :

“Je vous interdis de penser à une girafe. Vous ne devez pas penser à une girafe. Ne pensez pas à la girafe !”

Avez vous eu la vision de ce noble animal ? Je vous avais pourtant interdit de penser à une girafe…! Vous y pensez encore ?

Pire encore si vous aviez l’image devant les yeux !


C’est ainsi que cela se déroule dans le cerveau de nos petits. Quand vous dites quelque chose à un enfant de moins de 3 ans (ou 2 ans 1/2 ou 3 ans 1/2…), préférez les affirmations plutôt que les négations. “Ne monte pas sur la chaise” étant entendu uniquement comme “monte” et “chaise” il sera alors préférable de dire “Reste assis sur ta chaise”.

=> Expliquez les interdits. Il est rare que nous interdisions quelque chose à nos enfants par pur plaisir de la dispute. Quand nous posons un interdit, c’est généralement pour protéger l’enfant d’un danger. Il est plus simple d’obéir quand le sens est compris et cela à tout âge. “Ne mets pas ça à ta bouche” devrait être complété par “tu vas être malade et avoir très mal au ventre”. Il est logique pour nous, adultes, que prendre une bonne rasade d’eau de javel est dangereux. Un enfant n’en est pas conscient et il faut donc lui expliquer pourquoi (et mettre la bouteille de javel en hauteur et sous clé). L’interdit n’est alors plus que de la frustration et de l’autoritarisme, mais également de la protection et a maintenant un sens.

=> J’aime bien aborder avec les familles la gestion des crises et oppositions dans une dimension temporelle incluant un avant, pendant et après. Certaines colères sont récurrentes et obéissent à un schéma qui se répète. Les identifier peut permettre de les enrayer avant qu’elles aient lieu.

Avant de partir pour les courses avec le petit dernier, préparez le et expliquez lui comment cela va se passer. “On va faire les courses au supermarché. Il y aura des jouets et des bonbons mais tu n’auras rien de plus que ce que j’ai décidé. Par contre tu peux me montrer ce que tu aimes et on le mettra dans ta lettre au Père Noël”. Cela peut s’assimiler à du marchandage (j’y reviendrai par la suite) mais, dans cette situation, je préfère penser à une temporisation de la pulsion (“je veux maintenant”) sans pour autant la nier (“Je comprends bien ce que tu veux mais tu devras attendre”).

Pendant les courses il est également utile de rappeler la consigne “On a presque fini, on va aller vers les caisses. Tu te souviens bien que ça ne sert à rien de réclamer ? Quand j’aurai payé on fera la course jusque la sortie, je suis sûr que je gagne !”. Une petite diversion de type “A ton avis ? C’est quelle caisse qui va avancer le plus vite ? Je suis sûr que ce sera la deuxième avec le grand Monsieur” peut également être utile.
Si malgré tout la crise survient “Je veux des bonbons. JE VEUX DES BONBOOONS !!”, bien entendu à l’heure de pointe avec tous les autres clients qui vous regardent, ne lâchez rien. Même si il est dur de voir son enfant hurler, pleurer et pester, vous devez rester cohérent et droit dans vos bottes. “Je comprends très bien que tu ais très envie de ces bonbons et que tu sois très triste mais je t’ai déjà dit que tu n’en aurais pas. C’est mauvais pour les dents de manger trop de bonbons”. La crise continuera probablement un peu mais vous gagnez quelques points pour éviter la prochaine colère.

Après il est très important de débriefer ce temps avec son enfant. Reprendre avec lui le négatif et terminer par valoriser le positif. “Au caisse je n’étais pas content car tu as fait une grosse colère alors que je t’avais bien dit avant de partir que tu n’aurais pas de bonbon. Par contre tu as été très sage dans les rayons, c’est très bien je suis content de toi.” La question de la sanction du “mauvais” comportement peut également se poser, j’y reviendrai par la suite.

=> Nous ne marchandons pas ou n’achetons pas de bon comportement. La plus belle des récompenses que vous pourrez donner à votre enfant pour s’être bien comporté est votre amour et votre reconnaissance de ses efforts au retour (“Papa (ou maman), tu peux être fier de ton fils, il a été très sage au magasin alors qu’il y avait des jouets partout”).
Un enfant qui reste calme est un enfant qui se contient, il faut lui reconnaître cet effort. A l’inverse, promettre une récompense (“Si tu es sage, je t’achèterai un nouveau doudou”) revient à céder à la crise alors même que celle-ci n’est pas encore arrivée. Quel pouvoir vous accordez alors à votre petit !

=> Soyons précis dans nos attentes. La perception du monde n’est pas la même chez un tout petit ou chez un adulte. “Être sage” est un concept excessivement vague pour un jeune cerveau qui se construit car cela change selon le contexte. “Être sage chez Tata-Sylvie” signifie “avoir le droit de courir dans le jardin et bien s’entendre avec ses cousins” mais dans le magasin les cousins ne sont pas là mais j’ai quand même le droit de courir partout ?
Nous avons parfois l’impression que les enfants testent notre patience lorsqu’ils font une bêtise en nous regardant droit dans les yeux. Vérifiez alors qu’il n’est pas en train de vérifier la consigne plutôt que de tester un interdit ou votre autorité.


La question de la sanction.

Je n’ai pas d’avis arrêté sur le fait de sanctionner ou non les bêtises d’un enfant ni comment car cela dépend grandement des fonctionnements familiaux. Notre société, pour le pire et le meilleur, est construite autour de la Loi qui protège et sanctionne. Il ne me paraît pas alors aberrant que cela se retrouve dans des familles même si cela se rapproche plus du conditionnement que de l’éducatif. Quelques points me semblent néanmoins primordiaux.

Une sanction doit être éducative (pas uniquement punitive) et aider l’enfant à grandir. Elle doit être équilibrée et cohérente (être puni 5 heures dans sa chambre pour avoir renversé son verre n’est il pas un peu trop ?), expliquée sans colère (“Oui tu es puni de télé parce que tu n’as pas été sage et que tu t’es mis en danger”) et surtout, la sanction doit être tenue par les adultes.


Ce dernier point que je rencontre très fréquemment est pour moi très important car quel sens donner à une privation de console (pas d’écran avant 4 ans !) pendant 2 jours si elle est rendue au bout de 2 heures ? Ne sanctionnez que ce que vous pouvez tenir. Si vous savez que vous ne tiendrez pas et que vous allez rendre la console au bout de 2 heures, alors privez pour 2 heures et non pour 2 jours. Restons cohérents…

Voilà, pour ne pas conclure ce petit article qui à l’origine n’avait pour prétention que quelques lignes, je souhaitais préciser que ces orientations éducatives et ces postures parentales sont des lignes générales qu’il faut adapter à chaque fonctionnement familial, voir à chaque enfant. De plus les baguettes magiques n’existent pas et l’être humain a besoin de temps pour avancer, parents comme enfants.

Les conseils mis en place ne sauraient être efficaces dès la première tentative. Nous plantons tous des graines qui parfois mettent du temps à germer, grandir puis fleurir. Soyons patients. Cherchons et valorisons les évolutions positives, même infimes, elles donneront l’énergie pour continuer d’avancer.

Si malgré la lecture de cet article (ou d’autres) vous ne constatez pas d’amélioration après plusieurs semaines d’essais, il peut être intéressant de consulter un professionnel qui pourrait mettre en lumière d’autres difficultés ou freins qui provoqueraient ces difficultés éducatives.

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